Une productivité accrue réduit la valeur des marchandises nécessaires à la reproduction des travailleurs. Cela signifie que la valeur de la force de travail diminue (en supposant que le niveau de vie matériel reste le même), ce qui laisse davantage de plus-value pour le capitaliste.
Traduit de Marx, capital and the madness of economic reason, de David Harvey, 2017, p. 26.
La baisse de la part du travail humain dans les coûts de production laisse aux détenteurs des capitaux le loisir d’augmenter la paie[1], ce qui peut nuire à la concurrence (davantage quand le taux de chômage est déjà élevé) – sur laquelle se concentre peut-être la pression syndicale avec l’énergie du désespoir (la montée du chômage provoquant la chute des cotisations). Le paradoxe est donc le suivant : un rapport de force moins favorable à la classe travailleuse peut s’accompagner de salaires plus généreux (et en situation de crise d’une part de la rémunération du travail dans les coûts de production qui augmente), le tout aggravant la séparation des intérêts entre les chômeurs et ceux qui conservent leur emploi. [Encore que les revenus ont des chances d’être davantage redistribués au sein de la famille et parmi les amis.]
[La concurrence affectée inclut les fournisseurs et les clients, chez lesquels on souhaite ne pas réduire le nombre d’acteurs, sauf éventuellement si l’on cherche à diversifier son activité. Des salaires plus élevés favorisent-ils l’industrie des biens de consommations ? Pour que le secteur des biens d’équipement* reste assez concurrentiel, il peut être nécessaire à sa clientèle de lui ménager une demande en vendant plus certes, mais avec moins de marge.]
Plus fondamentalement,
les gains de productivité impliquent davantage de production et/ou moins de temps de travail humain. Dans le premier cas, les prix baissent directement, et dans le second, les bénéfices supérieurs attirent les investisseurs et la production est vouée à s’accroître – ou la productivité à s’élever davantage. Si les prix tombent, la valeur de la force de travail peut diminuer (si les besoins ne progressent pas significativement) ; mais à supposer que le travail humain soit moins sollicité, alors la valeur de ce dernier ne peut pas s’affaisser autant que la valeur des biens et services nécessaires à la reproduction de la force de travail[2]. D’où un maintien possible des salaires réels, voire des hausses, au moment même où des licenciements sont opérés.
[Aux USA, l]es salaires de l’entre-deux-guerres n’ont pas connu les hausses les plus fortes dans les industries les plus syndicalisées, et c’est seulement dans la période de déclin des adhésions syndicales – 1920-1933 – que les travailleurs syndiqués obtinrent une paie supérieure à celle de leurs collègues au sein d’un même secteur industriel.
Traduit de Main currents in modern American history, Gabriel Kolko (1976), p. 160.
Gabriel Kolko explique que les écarts de salaires entre les industries sont avant tout déterminés par le degré de compétition entre les entreprises d’une même industrie, lui-même lié à la quantité de capital injectée dans l’équipement : encore une fois, si la paie ne représente qu’une faible part des coûts de production, alors elle peut grimper. Les syndicats sont moins exigeants envers les firmes plus petites – caractéristiques d’un secteur concurrentiel, plus fragiles.
Notes
1. Une réduction de la demande entraîne davantage de licenciements dans les secteurs à forts besoins en main d’œuvre (où la production par travailleur est moindre), et si le marché du travail est suffisamment segmenté, la pression sur les salaires y est plus forte – ce qui conduit à une baisse des prix plus prononcée (d’autant plus que ces secteurs sont moins concentrés et donc que la lutte pour les parts de marché y est plus féroce). En conséquence les salaires réels des secteurs à faibles besoins en main d’œuvre augmentent.
2. À l’échelle globale, les recettes sont égales aux coûts de production, à savoir la valeur du travail multipliée par sa quantité (ou encore la valeur des biens et services nécessaires à la reproduction de la force de travail), plus les profits. Une réduction de la valeur de la production destinée aux classes laborieuses ne signifie pas forcément des marchandises plus abordables – il peut s’agir d’une distribution du produit favorisant davantage les détenteurs des capitaux.