Si le taux de chômage est suffisamment bas qu’il permet aux salaires de grimper, les profits peuvent s’en trouver attaqués. Est-ce au détriment de l’investissement ? Celui-ci s’appuie sur l’emprunt, et indirectement sur le capital disponible comme garantie. Les taux d’intérêt* auront tendance à augmenter avec la suppression des profits (à cause de la diminution de l’épargne), il y a donc ici un rôle à jouer pour les banques centrales, car avec des taux d’intérêt à un niveau modéré, les prêts restent accessibles même aux activités peu rentables. Pour répondre à une demande plus importante, les prix montent (et/ou on importe davantage, ce qui revient au même dans la mesure où le taux de change en est affecté – à moins de soutenir la monnaie, mais avec une balance commerciale déficitaire, les réserves de devises finissent par se tarir).
Quand les capacités de production sont déjà pleinement employées, toute création monétaire supplémentaire par le crédit génère de l’inflation*. Celle-ci favorise un temps l’investissement, notamment en abaissant les taux d’intérêt réels. Éviter une spirale inflationniste implique de développer de nouvelles capacités de production, mais la compétition pour les ressources fait aussi monter les prix. Si les ventes se maintiennent, l’incitation à produire davantage est telle que les gains de productivité seuls peuvent ne pas suffire : en ce cas il faut poursuivre l’embauche. [les coûts de production augmentent aussi]
Les profits sont une manière d’assurer la défense des investissements. En leur absence, comment répartir la production entre biens de consommation et biens d’équipement* ?
Avec une rentabilité des investissements garantie par le pouvoir d’achat, les emprunts devraient être demandés. L’inflation peut avoir pour effet la réduction de l’épargne (et donc l’élévation des taux d’intérêt), sauf si l’impression de richesse est trop limitée – ce qui devient à peu près inévitable à partir du moment où la hausse des taux d’intérêt affecte l’emploi [attention : la concentration des richesses implique que l’effet pro-consommation de l’appréciation des actifs est indirect pour une grande partie de la population : une bourse en hausse rassure les travailleurs sur leurs revenus futurs➤]. Admettons que la politique monétaire continue à faire pression sur les taux d’intérêt, comment peuvent alors réagir les banques ? En prêtant elles sont perdantes, investir ne rapporte rien… Leurs clients préfèreront aller voir ailleurs, peut-être du côté de l’immobilier. Il n’y a plus de mécanisme pour l’allocation de la production, en dehors de l’incapacité à consommer autant que l’on produit. [En l’absence de demande pour cause d’inflation, cette dernière impacte aussi les coûts de production et ne laisse donc les moyens de n’avoir lieu qu’aux activités les plus rentables : les prix baissent sous l’effet des gains de productivité et de la réduction de l’emploi – laquelle est amortie voire annulée par la déflation et l’éventuel renouveau de la demande. La dépréciation de la monnaie (supra-)nationale atteint le pouvoir d’achat mais favorise les exportations, ce qui stabilise le taux de change. La production « locale » (aucun rapport avec les circuits directs) est éventuellement avantagée, ce qui peut se traduire par des embauches.]
…de chacun selon ses capacités à chacun selon ses besoins…
Il fut décidé que personne ne pouvait déterminer soi-même ses besoins et ses capacités. Alors nous avons voté. Et tous se sont mis à faire la liste de leurs malheurs pour persuader les autres de leur misère. Comment aurions-nous pu faire autrement ? Puis les chiffres de la production ont chuté. Il a fallu voter qui travaillerait des heures supplémentaires – non-payées, puisqu’on rémunérait uniquement selon les besoins. Et comme seules les capacités importaient pour désigner ceux qui devaient peiner davantage, chacun a levé le pied autant qu’il fallait pour ne pas paraître plus efficace que les autres.
Adapté d’un extrait d’Atlas Shrugged, par Ayn Rand (1957), trouvé dans The Literary book of economics (2003), édité par Michael Watts. La formule « de chacun… » est de Louis Blanc (1851) et a été reprise par Karl Marx (1875).
La guerre discipline une population agitée mais non-révolutionnaire. Elle peut aussi créer les conditions de la révolution➤. La croissance➤ peut permettre de réfléchir à autre chose qu’à la survie immédiate, et notamment à se révolter si la mobilité sociale est faible➤. La révolte apporte la joie➤ (c’est dans l’adversité que l’on se fait des amis, et après l’effort…), réduisant le besoin de compenser l’insatisfaction par des dépenses de statut ou de loisirs. L’épargne – incluant voitures, maisons – donne quelque chose à perdre à lutter.
Comme on en fait ouvertement la remarque – selon D. Harvey – aux USA dans les années 1930 : « un propriétaire endetté ne fait pas grève. »
Quand le mécontentement populaire fait jouer les contrats d’assurance, le marché financier se restreint – une part des fonds affectés à l’investissement a alors des chances de s’orienter vers les placements financiers➤. Si elle fait monter les salaires➤, la révolte peut alors faire progresser les taux d’intérêt, à l’avantage des secteurs innovants➤. Gabriel Kolko, dans Main currents in modern American history (1976), pp. 159-65, montre que le syndicalisme et les grèves n’ont aux USA pas d’impact notable sur les salaires. À noter que la propriété y est répandue depuis plus longtemps (The social economy of cities, p. 134). Pour Ernest Mandel, avec le raccourcissement du rythme d’innovation technologique et donc du cycle de reproduction du capital fixe, les « trusts monopolistes cherchent à éviter presque à tout prix les grèves ». Lire Ernest Mandel (1970), contrôle ouvrier, conseils ouvriers et autogestion, tome 1, pp. 19-26. Le rythme d’innovation doit s’accélérer à mesure que les inégalités s’accroissent et rendent le marché des biens de consommation relativement plus petit que celui des biens de production.