m’agacer n’est pas un exploit, ne pas s’attendre à des félicitations

L’État ne crée pas le rapport capitaliste, mais il en est le garant (par la confiance en la monnaie, la garantie du crédit, le soutien au jeu non-faussé de la concurrence, et plus généralement le maintien de rapports juridiques et du consensus social) – « même au prix d’une relative stagnation économique ». Sa perte de légitimité avec l’accroissement des inégalités depuis la fin des années 1970 ouvre la voie à d’autres formes d’organisations sociales.

Le taux de profit est voué à baisser, même si ça n’est pas linéaire. Comme le secteur des biens de production est constitué de marchés plus étroits que ceux des biens de consommation (à l’exception de certaines infrastructures), les innovations y ont une applicabilité plus limitée et il faut donc investir davantage pour des gains de productivité équivalents. Quand les biens de consommation perdent de la valeur en comparaison des biens de production, la progression des recettes ne peut pas suivre le même rythme que celle des dépenses. [En termes marxiens, à taux de profit (s/c) équilibré entre les deux grands secteurs (Départements 1 et 2), on peut démontrer que le taux de profit est égal au capital fixe employé de D2 sur celui de D1, or la segmentation du marché de biens de consommation requiert de plus grandes dépenses en machinerie dans le secteur concerné. Une autre démonstration s’appuie sur l’équivalence entre le taux de profit et le rapport entre taux de plus-value (s/v) et ‘composition organique du capital’ (ou ‘composition en valeur du capital’ d’après Fred Moseley, c/v). Augmenter la plus-value relative par la productivité est possible de deux manières, pas incompatibles : réduire le coût des biens de consommation, ou celui des biens de production. Comme la première est plus efficace pour un même montant investi, l’augmentation du taux de plus-value s’accompagne d’une hausse de l’OCC (ou VCC pour Moseley) : Michael Heinrich rétorque que les gains en productivité d’un investissement ne dépendent pas strictement de son montant, et donc que le taux de plus-value peut croître sans que le capital constant ne change beaucoup. Mais des gains de productivités rapide de D1 signifient aussi une dépréciation accélérée du capital, donc une consommation accrue de celui-ci. Cependant cette remarque pourrait aussi s’appliquer à D2, ce qui invaliderait alors l’idée d’un déséquilibre. Il s’avère que l’évolution de la VCC est plutôt inversement corrélée à celle de la productivité. Ensuite, considérer que le taux de plus-value ne peut augmenter que dans les mêmes proportions que la ‘composition en valeur du capital’ ne prouve pas une chute du taux de profit, seulement une stagnation a minima. En revanche, on peut démontrer l’inexorabilité de cette chute (en l’absence de croissance démographique) : une fois la plus-value relative à son maximum, l’unique façon de préserver s/c consiste à réduire la quantité de capital constant – le taux de profit n’est alors préservé qu’en apparence.] Si l’on choisit de produire suffisamment de biens de consommation supplémentaires pour compenser leur perte de valeur, c’est que l’on rééquilibre le partage des richesses en défaveur des profits. Peut-on préserver le taux de profit en ces conditions ? Pas sans une croissance démographique exponentielle. Pour redonner aux classes moyennes le goût de constituer un pactole, il s’avère ainsi utile de périodiquement redistribuer les richesses accumulées. [C’est la dépréciation du capital qui résout le problème : une concentration accrue des richesses plutôt qu’une redistribution – ce faisant on restaure le taux de profit et on peut effectivement redonner aux classes moyennes le goût de constituer un pactole.]

La fragmentation des classes moyennes entre celles qui échappent de plus en plus à l’imposition et celles qui doivent de plus en plus assumer le démantèlement des protections sociales, participe, avec les disparités géographiques entretenues par la spéculation immobilière et foncière, à la diversification des localités – un moyen possible de sauver le taux de profit. Le retour des villes patronales (Amazon à Seattle, Samsung en Corée du Sud etc.) annonce donc peut-être un paternalisme décentralisé s’arrogeant des prérogatives de l’État.

moins de grèves des loyers à partir des années 1980

l’inflation* des années 1970 permet une crise lente car l’impact du chômage sur les salaires est atténué par leur indexation sur les prix et la disponibilité d’une épargne, laquelle préserve la consommation malgré l’affectation de la production à la formation de capital fixe

Cette structure ne serait toujours pas grignotable graduellement par les forces révolutionnaires. Depuis le 19ème siècle, afin d’éviter autant que possible l’intégration au système capitaliste et le découragement provoqué par l’échec, il a fallu alterner éducation et action, en réservant au maximum cette dernière aux moments de fragilité du capital : à l’issue de la première guerre mondiale et ses mutineries issues des tranchées, puis au début de la crise des années 1930 (le repli après 1935 aura possiblement pesé dans la balance quand les puissances industrielles ont choisi de réarmer, mais la logique inverse fait aussi sens : les travailleurs d’Europe de l’Ouest étant davantage portés vers les socialistes dans les années 1920, les Communistes en font une cible prioritaire de leurs critiques afin d’en récolter les fruits lors de la prochaine crise économique, puis embrassent le concept de Front Populaire une fois que le risque de guerre s’affirme – pour éviter l’isolement de l’URSS). À voir la réduction drastique de la part des revenus allant aux plus riches à partir de la fin des années 1920 (dès 1914 en terme de patrimoine), la stratégie du Comintern n’a pas été dénuée d’effets. [Pour G. Kolko dans Main currents in American history, pp. 337-45, les inégalités de revenus et de patrimoine aux USA n’ont pas changé, pour peu que l’on tienne compte des différentes formes d’évasion fiscale. « [L]a finance offshore est passée par des phases d’accélération, de décélération et même de contraction. Cinq périodes peuvent être distinguées. Pendant les années précédant la première guerre mondiale, les flux offshore s’accroissent, mais leur importance demeure marginale. La période qui s’ouvre avec la guerre et se referme avec la Grande Dépression est caractérisée par une première flambée d’activités du marché de l’évasion fiscale. Pourtant, à partir des années 1930, la finance offshore se contracte et ce, jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale, avant de croître à un rythme lent au cours des années 1950. Dès le début de la décennie suivante, les affaires de la finance offshore et les pratiques d’attraction fiscale se globalisent. Cette croissance prend finalement une dimension sans commune mesure avec les phases précédentes après le tournant néolibéral des années 1980. » Christophe Farquet (2018), Histoire du paradis fiscal suisse, pp. 8-9. ]

satellites géostationnaires mis en évidence – Trevor Paglen (2010)

Quand le second conflit mondial prend fin, Communistes et Socialistes se séparent, permettant aux sociaux-démocrates de rester unis et donc de promouvoir un État-Providence propre à éviter la soumission des économies européennes à la toute-puissance économique américaine, tout en réservant aux USA des marchés d’exportations par la hausse des niveaux de vie.

Dans les années 1960 et 1970, il n’y aura pas de crise soudaine mais une baisse graduelle du taux de profit et une montée progressive du chômage. Dans ces conditions, la propagande par le fait aboutit à une plus grande intégration des organisations ouvrières, qui remplacent les adhésions perdues par des défraiements pour leurs activités de gestion.

Il y a matière à penser que les révoltes à travers le monde ayant eu lieu à partir de la fin des années 1960 sont arrivées trop tôt, c’est-à-dire avant que la hausse des niveaux de vie ne prenne fin. Ces premières insatisfactions sont très propices aux périodes révolutionnaires quand, par ailleurs, une élite éduquée ne trouve pas sa place. L’éclosion de ces insurrections a pu être accélérée par une plus grande homogénéité de la classe travailleuse, le renforcement des forces de police (en tout cas dans le Tiers Monde, grâce à la CIA), et la brutalité de la réponse de celles-ci – dont on sait qu’elle détermine une suite plus violente aux manifestations. Cette répression accrue peut s’expliquer par l’affaiblissement du consensus social lié à celui du taux de profit – accéléré par l’accent mis sur la productivité. Pour comprendre le tumulte précoce, il faut aussi prendre en compte l’accès plus généralisé à l’éducation supérieure, et la constitution d’un large corps enseignant issu des classes travailleuses. La première partie des « Trente Glorieuses » est caractérisée par un progressisme économique associé à un conservatisme culturel (les femmes n’investiront vraiment le marché du travail qu’à partir du milieu des années 1960 : les valeurs familiales sont jusqu’alors vues comme un refuge face au totalitarisme et la psychanalyse fait l’éloge de la mère ouvrière, guidée par ses émotions et son intuition), une combinaison peu propice à maintenir l’ordre. Enfin, l’expansion du commerce international pousse à agir avant de perdre de la capacité à nuire à la bonne marché de l’économie.

Leftöver Crack – World War 4 – & OUR WEAPONS WILL BE STICKS & THE OTHER SIDE HAS ROCKS

La désindustrialisation a pour effet de réduire plus rapidement le taux de profit à court terme, mais de freiner sa chute à moyen terme. Plus récemment, le transfert d’une bonne partie de l’appareil productif vers le Sud, et notamment la Chine, a contribué à enrayer la tendance descendante du taux de profit, ou du moins en apparence. Mais au prix de rendre plus compliqué l’emploi de la guerre comme solution aux problèmes sociaux (c’est-à-dire diviser pour mieux régner). [Cependant, s’il le souhaite, le Nord est autonome en matière alimentaire et conserve une capacité de production conséquente en ce qui concerne les engins mécaniques. Le secteur aéronautique, par exemple, est cependant très dispersé. C’est aussi du côté de l’électronique que le bât blesse, entre autres en ce qui concerne la production très polluante de terres rares, même si des alternatives existent. Le ‘problème’ est moins grave si on le voit comme une question de maintenance. On peut mettre en doute la possibilité de développer rapidement une force de frappe sensiblement plus conséquente, mais c’est aussi un souci pour la Chine si l’on parvient à lui appliquer un embargo.]

Peut-être cherche-t-on à provoquer la révolte. La prochaine grande vague séculaire d’investissement attendrait-elle que l’abcès de la colère populaire fût percé ? Si l’on ne devait pas tomber dans ce ‘piège’, un compromis intégrateur serait alors recherché.

[Par certains aspects, la vague en question a déjà commencé, notamment en ce qui concerne la mise en place d’un nouvel environnement de vie : interactions personnelles modifiées par le numérique, nouvelle configuration spatialle avec l’accentuation des disparités géographiques à une échelle régionale/nationale. Après les étapes de l’innovation (mécanographie à carte…), de la première croissance (équipement des entreprises) puis des investissements plus ou moins judicieux durant le déclin de l’ère de l’automobile, la phase de croissance mature des technologies de l’information est probablement déjà amorcée, et comme pour les précédentes technologies majeures elle doit se faire de façon incrémentale en s’associant à des procédés plus anciens.]

 

 

Bibliographie

Ernest Mandel – contrôle ouvrier, conseils ouvriers, autogestion 1 – 1973

Jean Barrot – « Bilan », Contre-révolution en Espagne 1936 / 1939 – 1979

Les dossiers du Canard n°15 – L’École : le dérapage ! – avril 1985

Gabriel Kolko – Confronting the Third World – 1988

Eli Zaretsky – Le siècle de Freud – 2004

Perry Anderson – The Antinomies of Antonio Gramsci – 2017

Adam B. Ulam – Expansion and coexistence, Soviet foreign policy 1917-73 – 1974

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