retour vers le chômage

Un chômage faible place les employés en position de force pour obtenir des salaires plus élevés au détriment des profits. Les représentants des employés peuvent aussi pousser à l’investissement, lequel doit permettre d’augmenter l’emploi. Si ce n’est pas le cas et que la production n’est plus en mesure de satisfaire la demande des entreprises et des consommateurs, on peut s’attendre à de l’inflation* et donc à la hausse des taux d’intérêt*. Mais ceux-ci peuvent aussi grimper si l’accent est effectivement mis sur l’investissement, d’autant plus quand la limitation des profits entraîne celle des moyens de financement disponibles. L’inflation – aidée par la demande de biens d’équipement* – est alors vue comme un moyen de réduire les taux réels, et on peut faire le choix consensuel d’une production inflationniste (militaire, par exemple, puisqu’elle n’est pas destinée aux consommateurs).

En France, les bas salaires, à la traîne depuis les débuts de l’après-guerre, sont rehaussés de 30 % en 1968. S’il peut s’agir d’une façon de prévenir une crise de surproduction anticipable après deux décennies de gains de productivité, la combinaison d’une inflation puis d’un chômage tous les deux en progression dans la décennie qui va suivre freine largement l’amélioration du pouvoir d’achat. Le désengagement des investisseurs entraîne la saturation des capacités de production et donc l’impossibilité d’accélérer la production. Les taux d’intérêt élevés sont censés favoriser les investissements à forts rendements, mais sans doute moins avec le risque supplémentaire engendré par une inflation conséquente. En admettant que l’on ait alors pu épargner suffisamment pour sortir de cette situation, quelles auraient été les conséquences ?

En fait l’épargne a été relativement élevée via la généralisation de l’accès à la propriété. La plus forte impression de richesse qui va de pair avec un transfert de l’investissement vers les placements immobiliers[1] pousse à la consommation [la concentration des richesses implique que l’effet pro-consommation de l’appréciation des actifs est indirect pour une grande partie de la population : une bourse en hausse rassure les travailleurs sur leurs revenus futurs], ou bien si l’inflation devance les salaires nets, au désintérêt pour le travail – faisant alors pencher le rapport de force du côté des travailleurs. Le chômage, qui a déjà pour vertu de temporairement rééquilibrer production et consommation en cas de sous-consommation, apparaît aussi comme un excellent moyen de sauvegarder les profits dans le cas inverse. Le retour de la surproduction sera ensuite empêché par l’accès aux marchés « émergents » dans des conditions optimales après la hausse drastique des taux d’intérêt réels en 1979[2], tandis que le frein mis à la croissance est l’occasion de faire souffrir l’URSS des contre-chocs pétroliers.

Au début des années 1970, le taux d’épargne n’a pas baissé, et la création monétaire en a été facilitée – or celle-ci est inflationniste dans un contexte de forte utilisation des capacités de production, et l’inflation (tant qu’elle reste modeste) pousse à l’emprunt[3].

prolongement hebdomadaire du mensuel Hara Kiri, 8 septembre 1969

La hausse des taux d’intérêt réels à partir de la fin des années 1970 nuit à la demande provenant des entreprises et des consommateurs, ce qui ne joue pas en faveur du retour sur les investissements domestiques mais n’empêche pas de faire des profits, du fait des coûts domestiques de production modérés grâce au chômage et d’un développement industriel à l’étranger sous contrôle. Avec la maîtrise de l’inflation, les taux d’intérêt peuvent baisser, mais entre temps le rapport de force s’est inversé (le chômage est désormais élevé), et les dividendes peuvent rester très lucratifs. Se met alors en place un cycle où montants des dividendes et des investissements se répondent au gré de la demande. Le niveau de chômage en Europe [et peut-être ailleurs] y est étroitement lié jusqu’en 2001.

Notes

1. …qui s’accélère après 1972 : chômage et achats de logements pressentis ?

2. Les reconductions de dettes étant l’occasion d’occuper les capitaux en surplus, et par conséquent d’exporter ses biens et services tout en procédant à une colonisation économique.

3. Si l’épargne s’était poursuivie dans la seconde moitié de la décennie, et avait été davantage l’objet de placements financiers (assez improbable en période inflationniste), peut-être que des gains de productivité se seraient matérialisés et auraient évité de recourir au chômage, encore que l’emploi se serait raréfié en l’absence d’une croissance suffisante. Et c’est aussi faire abstraction du rôle de glissière de sécurité du chômage évoqué plus haut.