Les patrons préfèrent-ils baisser les salaires ou augmenter la consommation ? La deuxième approche demande davantage de concertation➤. L’inflation* peut permettre de tasser le revenu réel, et constitue à terme un moyen d’obtenir un consensus sur la réduction de la masse salariale.
[Réponse : la baisse des salaires est désirée quand salaires et épargne sont élevés, et inversement pour l’augmentation de la consommation.][La hausse des salaires peut être bénéfique aux nouvelles industries car elle a de bonnes chances de faire monter les taux d’intérêt par un plus haut ratio consommation / épargne, et donc de favoriser les investissements à hauts rendements aux dépends de ceux qui ne se maintiennent que par la confiance accordée par les banques, liée à l’expérience d’un résultat favorable.]
Avec la crise des années 1930, les politiques de plein-emploi sont attendues dans le monde entier. L’effort de guerre permettra l’utilisation intensive des capacités de production. À l’issue du conflit, les USA n’ont presque plus de concurrence industrielle [donc on ne cherche pas à être compétitif sur les prix et les salaires peuvent grimper], et le plein-emploi donne à l’économie américaine l’occasion de réduire le surplus d’épargne accumulé quand les biens de consommation n’étaient pas disponibles. La pénurie de dollars est un moyen de faire pression sur les pays étrangers, notamment pour qu’ils soient poussés à exporter leurs matières premières vers les États-Unis – ce que la Grande-Bretagne, maîtresse du bloc sterling, n’apprécie que modérément. Après la guerre de Corée, qui force le Congrès américain à mettre fin au manque de billets verts (l’asphyxie de l’Europe est peut-être ainsi évitée puisqu’au même moment les prix des matières premières s’envolent), on obtient en France l’indexation du salaire minimum sur l’inflation. Le consensus sur la croissance est une possibilité de maintenir les profits même en situation de plein-emploi.
Tant que le taux de chômage reste faible, les salaires peuvent grimper, même s’il s’agit de conserver un niveau d’investissement suffisant pour garantir les embauches, et aussi une rémunération du capital adaptée à la quantité d’épargne afin de ne pas provoquer la hausse des taux d’intérêt*. Sauf que la progressivité de l’impôt sur le revenu signifie que les salaires nets sont de plus en plus rognés à mesure que les salaires bruts montent. Si les exigences en matière de salaires nets cherchent simplement à se calquer sur la hausse de la productivité, l’inflation générée[1] fait que les salaires nets réels plafonnent toujours. L’augmentation de l’imposition sur la masse salariale a été conçue comme un moyen de réduire la demande de consommation afin d’allouer des ressources au « rattrapage ».
1. Les coûts de production évoluent avec les salaires bruts tandis que la demande de consommation suit les salaires nets, or la baisse des profits entraîne celle de l’investissement : si la production n’est pas à la hauteur de la demande, il y a de l’inflation. De plus, les hausses de productivité n’affectent pas tous les secteurs uniformément, et ceux laissés à la traîne sont enclins à augmenter leurs prix de vente pour compenser le relèvement des salaires. Au sein même des secteurs connaissant des gains de productivité, les entreprises n’ayant pas suivi immédiatement le mouvement deviennent moins compétitives et sont vouée à mettre la clef sous la porte – réduisant l’offre, à moins qu’elles investissent elles aussi dans de nouveaux équipements, augmentant alors la demande.
Les dépenses publiques peuvent être contenues afin de limiter cet éventuel effet inflationniste de l’imposition, mais alors le taux de chômage est voué à grimper jusqu’à son niveau « d’équilibre ».
Le taux de chômage « naturel », « structurel », ou « d’équilibre », est atteint quand les employeurs ne voient plus de raisons d’embaucher davantage de chômeurs qui leur rapportent autant en cherchant du travail sans en trouver. Si le taux de chômage est en-dessous, les coûts de production sont suffisamment élevés pour réduire l’investissement (à supposer que les capitaux trouvent de meilleurs rendements ailleurs) – et la préservation de la masse salariale facilite l’inflation. Si le taux de chômage est au-dessus du NAIRU (non-accelerating inflation rate of unemployment), il devient rentable d’embaucher davantage (sauf à préférer éviter une baisse des prix). En dessous, on peut investir davantage tant que les capacités de production ne sont pas arrivées à saturation. Pour maintenir le taux de chômage à un niveau inférieur, on peut stimuler la demande par les dépenses fiscales. Les gains de productivité signifient moins de besoins en main d’œuvre pour un même niveau de production, et donc une plus faible part des salaires dans les coûts de production. Les augmentations de la rémunération du travail sont alors davantage supportables et peuvent mettre en difficulté la concurrence.
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Quelle est la marge de manœuvre des organisations syndicales ?
Un chômage faible place les employés en position de force pour obtenir des salaires plus élevés au détriment des profits. Les représentants des employés peuvent aussi pousser à l’investissement, lequel doit permettre d’augmenter l’emploi. Si ce n’est pas le cas et que la production n’est plus en mesure de satisfaire la demande des entreprises et des consommateurs, on peut s’attendre à de l’inflation et donc à la hausse des taux d’intérêt. Mais ceux-ci peuvent aussi grimper si l’accent est effectivement mis sur l’investissement, d’autant plus quand la limitation des profits entraîne celle des moyens de financement disponibles. L’inflation – aidée par la demande de biens d’équipement* – est alors vue comme un moyen de réduire les taux réels, et on peut faire le choix consensuel d’une production inflationniste (militaire, par exemple, puisqu’elle n’est pas destinée aux consommateurs).
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[R]eproche [aux organisations de travailleurs], formulé par Milton Friedman, la pression des syndicats sur les profits afin de favoriser simultanément salaires et embauches ne fait que retarder l’arrivée au taux de chômage d’équilibre, et donc augmente le niveau d’inflation auquel celui-ci sera atteint [Je ne me souviens plus d’où je sors ça. Friedman est surtout connu pour affirmer que la seule façon de maintenir le niveau d’activité économique en présence d’une pression syndicale restreignant l’accès aux emplois pour faire monter les salaires, est la création monétaire et donc l’inflation]. Mais c’est possiblement faire abstraction de la rigidité salariale inhérente aux industries à forts besoins en capital [sans même parler du cycle Kondratieff]. Pour les dirigeants de ces industries, toute baisse de la demande les incite davantage à licencier du personnel qu’à réduire les salaires ou le temps de travail : les ouvriers peuvent être remplacés par des machines, et c’est l’occasion de se délester des sections les moins rentables de l’entreprise.
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Comme on le verra plus bas, si le taux de chômage est déjà élevé, les licenciements accompagnant les gains de productivité auront plus de mal à entamer les salaires.
Que les investissements servent aux embauches ou aux gains de productivité, les salariés [des industries à forts besoins en capital] peuvent en bénéficier, et contribuer à prévenir l’éventuelle réduction des revenus dans d’autres secteurs de l’économie. Or l’incapacité des salaires réels à baisser de façon franche réduit l’impact déflationniste attendu d’un taux de chômage élevé. Mais la « casse industrielle » ne laisse en fait plus grand chose pour barrer la route à la modération salariale.
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Une nouvelle configuration économique prend forme entre les années 1970 et 1980.
La France reste dans le Système Monétaire Européen, créé en 1979 (modification du Serpent Monétaire Européen initié en 1972), et le franc doit donc s’aligner sur le deutschemark, une des monnaies les plus fortes de l’après-guerre [cette parité assurée n’incite pas à la spéculation sur les taux de change, et réduit donc le volume des réserves nécessaires pour la défense du franc]. L’Allemagne s’est appuyée sur une inflation très faible elle-même obtenue par la modération salariale[8] : la compétitivité à l’exportation – notamment de ses biens d’équipement – en est renforcée, et en contrepartie les produits d’importation sont davantage accessibles aux consommateurs. Pour suivre le cours de la devise allemande[9], les pays partenaires sont poussés à tolérer un niveau de chômage élevé.
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Avec la maîtrise de l’inflation, les taux d’intérêt* peuvent baisser, mais entre temps le rapport de force s’est inversé (le chômage est désormais élevé), et les dividendes peuvent rester très lucratifs. Se met alors en place un cycle où montants des dividendes et des investissements se répondent au gré de la demande. Le niveau de chômage en Europe [et peut-être ailleurs] y est étroitement lié jusqu’en 2001.
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[L]es actionnaires s’attribuent plus de dividendes au détriment des investissements en prévision d’une baisse de la demande liée à la hausse du chômage, accroissant davantage celui-ci ; au contraire, si le chômage baisse, les dividendes sont restreints pour favoriser l’investissement, ce qui forme un cercle vertueux pour l’embauche. [Il peut aussi s’agir d’une façon de prévenir la perte de l’accès aux ressources de l’entreprise si celle-ci devait peiner à rembourser ses créditeurs. Les dividendes payés sont autant de moyens d’investir supprimés. Baisser les dividendes permet d’obtenir des fonds sans grands frais, il s’agirait donc de les augmenter en prévision du besoin.]
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La baisse des investissements accompagnant la hausse du chômage peut aussi correspondre à une diminution des coûts de production avec les gains de productivité.
Une entreprise peut s’équiper de machines plus performantes et/ou adopter des techniques de management plus sophistiquées. Elle peut accompagner ces gains de productivité d’une réduction des effectifs pour encore diminuer les coûts de production, et/ou produire davantage si elle pense que la croissance de ses ventes fera plus que compenser l’avilissement des prix. Le taux de profit – de cette entreprise – redescend à mesure que les entreprises concurrentes compressent elles aussi leurs coûts de production et récupèrent ou étendent leurs parts du marché.
Les gains de productivité réduisent les besoins en main d’œuvre, et la part des salaires dans les coûts de production peut devenir si faible que la progression de la paie devient possible [si les prix baissent, le temps de travail nécessaire pour un même pouvoir d’achat doit diminuer, et donc la pression à la baisse sur les salaires se relâche… à moins que les employeurs aient besoin de moins de bras : pas de débouchés à l’exportation, pas de nouveaux produits porteurs]. Mais cet allègement du volume des salaires s’accompagne d’une atrophie de la capacité à consommer – ne pouvant se poursuivre à l’infini même si les prix baissent : les industries s’organisent et la contestation s’intensifie. Les actionnaires ont le choix d’affecter les bénéfices en priorité aux dividendes plutôt qu’à l’extension de la production, auquel cas le chômage augmente et la main d’œuvre se désunit. […] Si les taux d’intérêt diminuent avec le surplus de capital disponible, les investissements peu rentables sont plus facilement finançables. Alors l’emploi repart, et le rapport de force peut sembler s’inverser[1]. Le volume des profits peut croître même si le taux de profit est érodé par l’atténuation de la pression exercée par le chômage sur les salaires.
https://commeconvenu.net/productivite-dividendes-volume-la-danse-des-profits/
Un indice suggère que le chômage est cause de crise, mais favorise aussi le regain d’activité qui suit.
[L]e taux de chômage augmente souvent avant le pic d’activité économique [et] continue souvent de grimper après le creux de l’activité[.]
https://commeconvenu.net/sommes-nous-prets-pour-lete/
[E]n cherchant du travail, on en fait baisser le coût. Avec la baisse des salaires vient celle de la demande de consommation, et à terme celle de l’investissement et de l’emploi [sauf si les pays s’ouvrent au commerce international, et trouvent alors davantage de demande pour leur production et davantage d’offre pour leur consommation – tant que l’économie mondiale se porte bien]. En résumé, chercher du travail réduit la demande de travail – des employeurs.
Si, en période de chômage élevé, la pression exercée sur les salaires par la recherche d’emploi est plus modérée, les entreprises qui se défont de leurs employés n’ont pour autant pas intérêt à les aider à se réinsérer (hormis chez leurs fournisseurs ou leurs clients), puisque davantage de production sur le marché ne peut que faire baisser le prix de l’ensemble des biens et services. Le chômage est alors vu comme un facteur de rééquilibre entre production et consommation.
https://commeconvenu.net/laide-comme-au-mois-de-juillet/
Quand le taux de chômage est très faible, la progression de la paie est limitée par la nécessité de préserver une partie des bénéfices pour l’investissement et la rétribution d’un capital servant de garantie pour les emprunts. Quand le taux de chômage est très élevé, la rémunération réelle du travail est limitée dans sa dégradation par la nécessité de maintenir un différentiel entre allocations de chômage et bas salaires (lequel resterait surement trop bas pour certains même si l’on descendait sous le NAIRU). En 2005 en Allemagne, un site internet fait scandale : il permet de se porter candidat à des offres d’emploi en proposant ses propres tarifs (une vente aux enchères inversée). Les rémunérations tombaient à des niveaux tellement indécents que la France a fait voter une loi contre ce système dès 2006➤, avec l’appui du MEDEF➤.
Pour Michael Pettis, la hausse du chômage doit contraindre à utiliser l’épargne, voire à emprunter, rééquilibrant ainsi épargne (donc production) et consommation. […]
À mon avis c’est surtout vrai quand le taux de chômage est déjà élevé.[Même si le chômage a une incidence sur les salaires, le revenu total de la force de travail se restreint plus vite que sa consommation – à moins que les salariés ne réduisent suffisamment leur consommation dans le but d’augmenter préventivement leur épargne. Si la progression du chômage a lieu juste avant une phase de croissance s’appuyant surtout sur la mécanisation, le taux d’épargne peut augmenter presque simultanément.]
https://commeconvenu.net/eviter-la-guerre/
Que ce soit en sollicitant l’aide de leur entourage ou celle de la collectivité, les chômeurs continuent à consommer mais ne produisent plus, ce qui fournit une autre partie de la solution [en cas de crise de surproduction] ;
sauf si les chômeurs sont trop poussés à chercher du travail, ce qui a un effet modérateur sur les salaires, et donc sur la consommation [ou bien si le chômage a déjà atteint un niveau élevé, auquel cas les salaires sont moins comprimables].
https://commeconvenu.net/le-plan-hs/
Les détenteurs des capitaux peuvent ainsi souhaiter plus de chômage quand son taux est déjà élevé, puisque c’est un moyen de réduire davantage la production que la consommation, et donc de préserver les recettes tout en allégeant la masse salariale.
En revanche, si le nombre de chômeurs devient suffisamment faible, les embauches supplémentaires peuvent avoir pour effet d’élever le ratio production / consommation et donc de faire descendre les prix plus vite que ne monte le volume des ventes. Bien sûr on ne peut pas continuer à embaucher à l’infini, mais ça met en perspective les appels de l’Europe à faire progresser le taux d’emploi (la proportion de la population totale au travail, pas seulement des actifs).
La réduction des effectifs de chômeurs implique davantage de production et une masse salariale plus importante. Si l’impression de richesse reste encore trop modeste, la tendance à épargner [attention : la concentration des richesses implique que l’effet pro-consommation de l’appréciation des actifs est indirect pour une grande partie de la population : une bourse en hausse rassure les travailleurs sur leurs revenus futurs➤] doit s’accompagner d’un marché pour l’exportation de la production en surplus, autrement les profits sont restreints, et par là l’investissement. Un affaiblissement de l’épargne fait monter les taux d’intérêt ; à moins que les capitaux étrangers n’affluent [ce qu’ils ont tendance à faire avec des taux d’intérêt élevés, sauf si l’inflation l’est aussi], la production est freinée au moment même où la demande de consommation augmente, donc l’inflation est favorisée. Les détenteurs des capitaux sont alors face à un dilemme : ne pas réinvestir les profits dans la production (mais plutôt en placement financiers) a pour double effet d’accentuer l’inflation[1] et de comprimer les taux d’intérêt, au plus parfait désavantage des prêteurs, mais pour autant des taux d’intérêt élevés ne constituent clairement pas une incitation à investir. Cependant, avec cette deuxième option, les investissements permettant d’importants gains de productivité sont privilégiés, ce qui engendre de la mécanisation et réduit la part de la masse salariale, et/ou nécessite d’accélérer le rythme du travail ; le risque de spirale inflationniste devient plus négligeable.
1. Tant que le chômage ne s’approche pas de son taux « naturel », car le chômeur, s’il ne produit plus, continue de consommer.